Les douze dernières heures de la vie du Christ.
Rendu au Mont des Oliviers, Jésus prie après avoir partagé un dernier repas avec ses apôtres.
Il résiste maintenant aux tentations de Satan.
Trahi par Judas, Jésus est arrêté et emmené à Jérusalem, où les chefs des Pharisiens l’accusent de blasphème et lui font un procès qui a pour issue sa condamnation à mort…
Fiche allociné :
https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=47326.html
Bande annonce :
Le 31 Mars 2004, la France découvrait un film intitulé “La Passion du Christ”. A l’occasion des 15 ans du film réalisé par un cinéaste américain qui marquera sa carrière, nous vous proposons un grand dossier.
Première partie
De la Mecque du cinéma à la Bible Belt :
Comment Mel Gibson a dit au revoir à Hollywood
Dans la vie de tout artiste majeur, il y a un moment charnière qui détermine un avant et un après dans une carrière. Celle de Mel Gibson en compte au moins deux. Sa rencontre avec George Miller d’abord, qui lui ouvre les portes de son destin en lui confiant le rôle de Max Rockatansky dans “Mad Max”. Puis, sa décision de réaliser “La Passion du Christ”, qui y a mis momentanément fin.
Pour mesurer l’ampleur d’une chute, il ne faut pas commencer par le bas mais partir du haut. Au début des années 2000, Mel Gibson est une star une vraie. Depuis 15 ans, l’acteur cultive tranquillement son jardin sur le sommet des collines hollywoodiennes sans vraiment encaisser de vent-contraire (du moins professionnellement). Et à première vue, le succès colossal de “La Passion du Christ” (612 millions de recettes pour 30 millions de budget) entérine cette success-story (presque) sans accrocs. De quoi même ajouter un arc narratif supplémentaire à une légende appelée alors à occuper une place de choix dans la mythologie hollywoodienne. Celui d’une star seule contre tous, qui remue ciel et terre pour porter à l’écran un projet dont personne ne veut, met son statut sur la sellette pour le réaliser comme il l’entend et finit par déjouer tous les pronostics.
L’histoire est connue, Kevin Costner l’avait raconté quelques 15 ans plus tôt avec “Danse avec les loups”, Gibson l’a expérimenté à minima sur “Braveheart”. Mais, cette fois, la victoire va avoir un goût amer, et inaugurer une phase très sombre pour Gibson. De shitstorm en ouragan médiatique l’artiste va connaitre une véritable mise au ban dont il mettra 10 ans à sortir.
Ready to rumble
Ironiquement, c’est une histoire (biblique) qui amorcera sa descente aux affaires. Les premiers signes de disgrâce remontent bien avant le premier tour de manivelle, alors que Gibson essuie refus sur rejet des studios dont il fait le tour avec le projet “La Passion du Christ” sous les bras. Le triomphe de “Braveheart”, associé au statut de star absolue qui est le sien alors, devrait déclencher une bataille rangée du côté des majors pour décrocher la timbale, mais le projet est atypique. Une œuvre qui retrace la passion de Jésus Christ, épisode qui couvre les 12 dernières heures du Galiléen, de son arrestation à sa crucifixion en passant (surtout) par son calvaire. Qui plus est tournée en araméen et en latin non sous-titré selon le souhait de Gibson (qui fera une concession là-dessus). La note d’intention crispe producteurs et patrons, la violence du scénario les effraie, et certains y perçoivent des relents d’antisémitisme dont ils ne tardent pas à diffuser les effluves.
Avant même d’entrer en production, l’intransigeance artistique de Gibson se heurte donc à la sensibilité du sujet. Il faut dire que la Passion est un épisode par essence délicat pour la communauté juive, et sert de base théologique à tout un pan de la rhétorique antisémite qui leur attribue la responsabilité de la mort du Christ depuis 2000 ans. Dans ce contexte, le projet de Gibson ne rassure pas. D’autant plus à l’aune des convictions religieuses de l’artiste, élevé dans une branche traditionaliste de l’église catholique, le Sédévacantisme, qui a pour particularité de rejeter le concile de Vatican II. Concile qui déboucha entre autres… sur la suppression de la formulation « juif, peuple déicide » de la prière du vendredi saint notamment.
Le raccourci est trop beau pour ne pas le prendre, à plus forte raison que les premières sorties médiatiques de Gibson sur le sujet montrent un homme déjà sur la défensive. Même s’il y a de fortes chances que l’affiliation de Gibson reflète davantage son goût pour les messes en latin et le rituel « pur » (après tout, on parle d’un homme qui compte réaliser un film en deux langues mortes) c’est déjà trop tard. L’amalgame est sur le point d’allumer le barbecue de la polémique, qui ne demande qu’à s’enflammer.
Le départ de feu va être donné par l’entrée dans l’arène d’Abraham H. Foxman , président de la puissante Ligue anti-diffamation. Après avoir adressé une lettre à l’agent de Gibson et ouvert le bal dans les médias, il met la main sur une copie du scénario dérobée dans les bureaux d’Icon Productions, la société de l’acteur (!). A ce moment-là, la machine se met en route. Foxman associe la Conférence des évêques catholiques et le Rabbin Eugène Korn pour former un groupe d’études destiné à étudier le scénario. Ils rendent leurs conclusions publiques en mai 2003, et confirment la vilaine rumeur qui grondait : “La Passion du Christ” serait bien le pamphlet antisémite redouté.
Ma Bible et un fusil
A ce stade-là, le film a déjà entamé sa phase de post-production depuis un moment (les prises de vues se sont étalées de novembre 2002 à janvier 2003). Autrement dit, trop tard pour faire machine-arrière, le polichinelle est déjà dans le tiroir. Gibson essaie de se défendre. Menace de traduire en justice les personnes soupçonnées d’avoir volé l’exemplaire de son scénario (la base). Affirme qu’il s’agit d’une ancienne version de travail qui n’a plus rien à voir avec le résultat final. Rappelle qu’un film est une œuvre audiovisuelle que l’on peut juger sur son seul support écrit, d’autant plus quand celui-ci a évolué au jour le jour sur le tournage. Toutefois, le mal est fait, la fièvre s’empare de l’appareil médiatique. Il est grand temps de contre-attaquer pour ne pas se faire dévorer par la controverse. La virulence de ses détracteurs (et sans doute son caractère de tête brulée) décourage Gibson de les rencontrer à mi-chemin. Il va donc simplement changer d’itinéraire.
Plutôt que d’aller chercher une frange du public déjà en train de le fuir, il va taper directement dans ce qui constitue au fond le vrai cœur de cible du film : les croyants, et notamment la fameuse Bible Belt . Sous les conseils de ses communicants, Gibson et son équipe organisent des projections pour les pasteurs, les personnalités influentes et les spectateurs triés sur le volet. Résultat : un plébiscite quasi-unanime pour un film qui vient de se remettre de gagner une réserve d’entrées conséquentes. La polémique gagne le reste du monde dont la France avec de nombreux articles. Mel n’en a cure : son bébé vient de se payer une “fan-base” qui est déjà en train de diffuser la bonne parole.
La montagne entre nous
Mais aussi judicieuse soit-elle a tactique fonctionne peut-être trop bien. En effet, les différentes communautés évangéliques sont à ce point conquises par le film qu’elles l’envisagent comme un outil de poids dans la bataille d’influences religieuse en cours (la production du film aurait même offert des kits d’évangélisations à certains spectateurs !).
Les télévangélistes fondamentalistes les plus influents du pays dressent des louanges à ce qu’ils ont vu dans et hors antenne. Il n’en fallait tant pour tracer une ligne de démarcation irrévocable dans un pays scindé entre deux pôles antagonistes qui passent leur temps à se regarder en chien de faïence. A savoir les élites citadines du nord et les rednecks du dirty south, l’Amérique athée et/ou sécularisée et celle qui croit à sa vocation messianique. La fracture est de taille et consciemment ou non, “La Passion du Christ” jette du gros sel sur les plaies en devant le champion des seconds contre les premiers. La revanche des uns, qui tiennent enfin LE film qui les représente contre les autres, qui maltraitent leurs valeurs à coups de soft-power judéo-pédéraste.
Bien sûr personne ne le dit en ces termes (ça fait partie du refoulé qui remonte de temps en temps à la surface des débats U.S), mais le fait est là : “La Passion du Christ” est devenue le chouchou des bigots. Une œuvre de grenouille de bénitiers pour les grenouilles de bénitiers. Ce que Gibson ne dément pas lorsqu’il affirme avoir filmé l’histoire au plus près de la vérité (même quand il s’inspire de l’expérience de Anne Catherine Emmerich, une religieuse mystique et décriée du XIXème siècle). Après ça, justifier ses partis-pris sur le terrain artistique, ça revient comme dirait Ford Fairlaine à se passer la quéquette dans le mixeur : beaucoup de douleurs, pour peu de résultats.
De l’autre côté du Mississipi, le combat continue. Foxman, le président de la ligue anti-discriminations continue ses attaques contre Gibson par médias interposés. Il demande à Gibson de le laisser voir le film, mais l’acteur et la production refusent, sans doute pour ne pas saboter la communication et laisser la polémique à ceux qui ne l’ont pas vu. En août, un éditorial à charge publié par le New-York Times en août entérine un peu plus la fin de non-recevoir avec ses détracteurs. L’article, qui cite notamment les propos négationnistes de son père Hutton Gibson, le met dans une rage folle au point qu’il déclarera en entrevue quelques semaines plus tard à l’égard de l’auteur « Je veux le tuer… Je veux enrouler ses intestins sur un bâton, je veux tuer son chien » . Mad Mel on the fury road.
Too late to turn back now
Sanguin mais lucide, puisque dans la même interview il déclare que les échauffourées médiatiques autour du film fait partie des meilleures promotions marketing qu’il n’ait jamais connues. Pas de mauvaises publicités en Amérique tant que le show continue de tourner, et que le jusqu’au boutisme de Mel Gibson fasse argument de spectacle. Le show continue d’ailleurs en invitant momentanément un nouvel acteur en la personne de Jean-Paul II Sa sainteté.tente une percée pour entrer dans le match en tant qu’arbitre potentiel après l’annonce d’une projection privée, avant de se rétracte quelques jours plus tard, surement pour ne pas brûler sa soutane médiatique.
En janvier 2004, une projection est organisée à Orlando où se déroule un congrès œcuménique. “La Passion du Christ” commence (enfin) à s’ouvrir à l’extérieur, deux mois avant sa sortie. Abraham Foxman, avec d’autres personnalités religieuses soucieuses du résultat, y assiste (après avoir rusé pour entrer selon lui). Sans surprises, il n’en sort pas transformé. Foxman écrit à Mel Gibson pour lui demander d’ajouter un épilogue où un prologue pour atténuer ce qu’il perçoit comme un ton antisémite. Il invoque le précédent Cecil B. De Mille, qui fit face à un débat similaire avec son film “Le Roi des Rois” dans les années 20 et modifia son introduction en conséquence, mais Gibson refuse. Sur un ton plus cordial, mais refus quand même.
Un cri dans l’océan
Quelque part, il y a fort à parier que l’opportunité marketing, associé au caractère de cochon d’un Gibson possédé par son projet, ait largement contribué à faire monter la sauce, quand il aurait été finalement plus simple d’éteindre l’incendie en amont. Mais Mad Mel ne fait pas de diplomatie. D’une certaine façon, il a adopté une posture d’auteur total en refusant le moindre compromis. Il l’avouera lui-même plus tard, concernant une scène qu’il s’est résolu à enlever à contrecœur pour ne pas ajouter à l’hystérie ambiante : il n’aimait pas qu’on lui dicte sa conduite… Aveu d’un excès d’intransigeance pour protéger sa vision quoiqu’il en coûte ? Peut-être.
Toujours est-il qu’à ce stade, “La Passion du Christ” est définitivement chevillé à sa réputation de film pour bigots. Étrangement, l’accueil critique se fait plus pondéré qu’on aurait pu le croire. Certes, le jugement esthétique ne saurait demeurer imperméable au bruit politico-social, et certains papiers ne manquent pas de reprendre les attaques « antérieures ». Mais Gibson réussit parfois à mettre certains mandarins comme Roger Erbert de son côté, même si tout le monde s’accorde sur la violence du film (les petites natures parlent même de snuff-movie). Dans une certaine mesure, la question de la représentation du calvaire de Jésus prend même le pas sur celle de l’antisémitisme supposé, comme si le thème avait été plus ou moins épuisé en amont. Reste que le spectre du monstre innommable continue de peser significativement sur la carrière du film.
En France, Marin Karmitz refuse de programmer le film dans ses salles , et la polémique peut tranquillement trouver un second souffle sur les plateaux hexagonaux. La réaction de la critique française, comme on pouvait s’y attendre, a tout de la crise d’hémorroïdes caractérisée, et cède aux passions (lolilol) qui ont précédé la sortie du film , plutôt que de contribuer à dégager le résultat de ses conditions de réceptions (on en vous laisse un échantillon ). Ce qui, au fond exemplifie bien la malédiction du buzz qui a suivi Mel Gibson : le bruit qui a entouré la pré-sortie a complètement recouvert tout autre forme de débats sur ses aspirations artistiques. Plus personne ne parle de cinéma, : l’image du bouzin a définitivement précédé son jugement, et le film n’est plus appréhendé qu’à travers ça. Au point qu’il est probable que la plupart de ses spectateurs se sont déplacés pour des motifs qui n’ont rien de cinématographiques (ou si peu). Sans compter les dévots qui y sont allés comme pour un service religieux, “La Passion du Christ” doit ainsi une grande part de ses entrées à ceux qui voulaient se faire une opinion sur ce dont les collègues parlent autour de la machine à café. Ce qui n’est pas une mauvaise chose en soit (James Cameron a bénéficié de cet effet là avec “Titanic” et “Avatar”), mais ne rends pas forcément service à une œuvre aussi jusqu’au-boutiste et atypique (et finalement fragile) que “La Passion du Christ”.
Et encore, on ne compte pas ceux attirés par l’odeur du souffre, qui déchargent leur indignation vertueuse pour soulager leur conscience d’avoir céder à leur sale petite pulsion voyeuriste (du genre : « ah bah je savais que c’était violent, mais à ce point- là c’est scandaleux vraiment, remboursez ! Gibson au bûcher ! »). Un peu comme “Irréversible” de Gaspard Noé quelque temps auparavant. Autant de facteurs qui expliquent que “La Passion du Christ” a finalement une vie assez ingrate dans la mémoire collective. Les gens s’en souviennent pour la controverse, et les fans de Gibson préféreront toujours citer “Braveheart” ou “Apocalypto” voire “Tu ne tueras point” pour défendre leur champion. Le cinéaste lui-même en est conscient, puisqu’il a annoncé en 2016 vouloir faire une suite à La passion, centrée sur la résurrection de Jésus…
Au-delà du fait qu’on voit assez mal ce que Gibson pourrait avoir à dire sur une histoire qui ne requiert plus la violence masochiste et qui le caractérise, il est probable qu’il choisisse la carte de la prudence, au moins sur le court-terme. Car c’est bien lui qui a payé les répercussions les plus dures de “La Passion du Christ”. Entre son ostracisation à Hollywood et le totem peu flatteur que lui a érigé la culture pop, on voit mal Mad Mel revenir dans le purgatoire qu’il a mis aussi longtemps à quitter…. Quant au film lui-même, nous reviendrons dessus dans une seconde partie pour l’apprécier à sa juste valeur. La tête froide, sans controverses et polémiques…
Il y a 15 ans déjà, la France découvrait “La Passion du Christ”. Dans un grand dossier consacré au film et après avoir évoqué la polémique, il est temps de revenir sur le long métrage en lui même.
Deuxième partie
La Passion du Christ :
First Action Hero
Comme nous l’avons souligné en première partie, il est toujours compliqué de séparer une œuvre de ses conditions de réception. A fortiori dans le cas de “La Passion du Christ”, soit le plus gros scandale culturel des années 2000 qui s’aventurait sur des pentes aussi savonneuses que l’antisémitisme, le fondamentalisme religieux, la représentation de la violence. Le revoir aujourd’hui constitue donc l’occasion d’aborder le film sous un regard dégagé (ou du moins apaisé) de toutes interférences extérieures. Bref, de parler de cinéma.
Pas de prisonniers
De fait, il ne faut pas longtemps pour comprendre que le « défaut » principal de “La Passion du Christ” réside dans l’absence totale de précautions avec laquelle Mel Gibson embrasse son sujet. Car le film est bien une œuvre cinématographique d’une puissance d’évocation rare, qui traduit la ferveur mystique de son auteur dans l’absolutisme de sa profession de foi. De toutes évidences, Gibson n’a pas réalisé ce film de la façon dont il l’a réalisé (rappelons le sans le soutien d’un studio ou d’un gros distributeur, en araméen et en latin) pour s’embarrasser de considérations liées à l’interprétation des uns où la sensibilité des autres. C’est le film d’un cinéaste qui s’est donné les moyens de se libérer des intermédiaires et des comptes à rendre à une époque qu’il ne compte en aucun cas ménager. Plus qu’un film d’illuminé religieux, “La Passion du Christ” est donc l’œuvre d’un fanatique cinématographique qui fait passer sa conception du médium en force. Tant pis pour ceux qui ne suivent pas.
Il est là le “crime” de Gibson : avoir réalisé son film sans s’arrêter sur la disposition de ses contemporains à lire sereinement les images (ce dans quoi il a lui-même sa part de responsabilité, voir ses choix marketings dans l’article précédent). En cela, La passion n’est pas très différente du diptyque “Matrix Reloaded” / “Matrix Revolutions” des sœurs Wachowski, en ce qu’il semble intérioriser les conditions de son incompréhension. A ce titre, l’une des scènes-clés du film, motif récurrent du cinéma de Gibson, s’incarne dans cette foule en colère et assoiffée de sang, qui se ne demande qu’un prétexte pour se laisser aller à la barbarie.
« Pardonnez-leur mon père, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Il suffisait d’écouter pour au moins relativiser ce qui fut l’objet de la controverse (l’antisémitisme supposé de Gibson), de regarder pour voir que ce sont les soldats romains qui se délectent le plus du châtiment qu’ils infligent à Jésus ; et se souvenir de la foule réclamant la mise à mort de William Wallace de “Braveheart”. Au fond, Mel Gibson avait anticipé la multitude qui délaisse la raison pour réagir à l’hystérie du nombre, et réclame des têtes avant de demander des preuves. La dérive d’une société qui ne cesse rejouant son procès aujourd’hui sur les réseaux sociaux a rarement connu de photographie plus glaçante. Le long métrage est un acte de foi, mais un acte de foi cinématographique. Il faut le revoir le film pour réaliser que Gibson narre avant tout la lutte d’un homme avec le mal, qui doit accomplir sa mission en dépit des raisons d’abandonner que le second met sur sa route.
Le héros aux mains attachées
Le film s’ouvre sur un Jésus en proie au doute, submergé par la peur et la conscience de ce qui l’attends. Il est sur le point de renoncer en cédant aux appels du diable, dont la représentation est l’une des plus viscéralement malsaine vu de mémoire plus ou moins récente, et contribue à tirer le film vers le cinéma d’horreur le plus viscéral (à côté, le Louis Cypher d’”Angel Heart” c’est Liz Hurley dans “Endiablé”). Gibson instaure ainsi son point de vue du côté de l’homme aux prises avec un fardeau trop lourd plutôt que celui de l’icône. Et ce malgré (ou grâce) une mise en scène tout en emphase iconique. Et pour cause : Gibson ne mythifie le fils de Dieu, mais le calvaire de l’homme et le poids qui pèse sur ses épaules.
Ainsi, contrairement à ce qu’on a pu être dit, le cinéaste ne met jamais le spectateur devant le fait accompli de sa foi. Pas question d’écraser Jésus sous la figure du Christ sauveur. Le cinéaste nous place dans la position du sceptique plutôt que nous imposer celle du croyant, et jamais nous ne verrons Jésus en pleine “démonstration” de ses pouvoirs. Gibson ne fait jamais mention des miracles attribué au personnage dans les nombreux flash-backs que comptent le film, et les seuls moments où le héros existe en tant qu’icône. C’est tout le pari de notre Mad Mel adoré : évacuer la question de la monstration dans la construction du mythe, réduit à sa capacité d’abnégation et à la propension du spectateur à « croire sans voir ». A avoir la foi en somme.
Gibson pousse la question très loin, au point d’en faire le principe de mise en scène du film structurant du film. En définitif, Jesus est un héros qui ne peut pas se servir de ses « pouvoirs », sous peine de fuir ce qu’il est censé devenir. Martin Scorsese en faisait un sujet de réflexion, Mel Gibson, une question d’immersion du spectateur. Il fallait surement un des symboles du cinéma d’action des années 80 pour saisir la dimension profondément masochiste du processus d’identification cinématographique. Car la notion même d’action héro, telle qu’elle fut adoptée par le public, ne se définissait pas tant par sa capacité à donner les coups qu’à les encaisser. C’est la partition sur laquelle Gibson, Sylvester Stallone ou Jean-Claude Van Damme n’ont cessé de jouer : le lead role qui doit en chier pour mériter son statut. En cela, Jésus se pose comme une itération terminale de cette figure qui ne rends même plus les coups qu’on lui donne. Il ne définit plus que par sa résistance au malin qui le somme d’abandonner en contaminant toute la foule de son venin. Jesus de Nazareth, c’est l’ascèse conceptuelle du action hero des 80’s.
C’est peut-être ça au fond, la raison pour laquelle la violence du film fut une question aussi âprement débattue : le personnage principal ne se défends pas de ses châtiments alors qu’il le pourrait (comme lui dit un prêtre au pied de sa croix : « Descends de là si tu le peux »). Le film rompt ainsi avec la tradition séculaire du héros proactif, qui finit par réagit à la situation. Elle est là l’intransigeance de Gibson, le vrai radicalisme de sa démarche.
Mad Mel de Nazareth
Car en termes de contenu pur, le film est finalement loin du torture-porn dénoncé trivialement par certains de ses détracteurs. On n’ira pas prétendre que Bloody-Mel joue la carte du full suggestive, et le cinéaste use d’une représentation graphique parfois gratinée. Mais force est de constater que la violence est davantage ressentie que réellement dépeinte à proprement parler. Voir le châtiment au fouet de Jésus, qui se déroule en partie à travers le visage de Marie, Gibson nous faisant partager la douleur du fils à travers celle de la mère. Quant à la crucifixion, elle se déroule majoritairement en hors-champ sonore, comme si anesthésié par la douleur, Jésus ne ressentait plus les coups de burin qui martèlent nos oreilles.
Finalement, c’est parce que Mel Gibson a réussi son coup que “La Passion du Christ” s’est vue enchaîné à une polémique infamante. Parce qu’il se veut une expérience viscérale qui ne préserve jamais le spectateur de la souffrance du personnage principal en le hiérarchisant. Parce qu’il filme un duel où le héros se s’astreint à la passivité, jusqu’à la folie pure. Parce qu’il filme un homme qui ne recule pas sur ses principes quand tout le pousse à le faire. Parce qu’il filme tout simplement une histoire à hauteur d’hommes, le récit d’un mythe qui n’en devient un qu’à la toute-fin, au jour de sa résurrection.
15 plus tard, force est de constater que “La Passion du Christ” est bien cette œuvre folle, possédée et radicale qui a été décrite. Mais qui n’a rien à voir avec les raisons pour lesquelles le film fut dépeint ainsi. Le revoir aujourd’hui confirme que seul des considérations strictement cinématographiques conviennent pour jauger le film à sa juste valeur. On l’a vu précédemment, Mel Gibson l’homme n’était sans doute pas la personne adaptée pour porter un sujet aussi délicat. L’artiste, en revanche réalise une œuvre totale. “La Passion du Christ” n’est pas tant une œuvre évangéliste, prosélyte, ultra-violente ou théologiquement problématique qu’un film de Mel Gibson. Et pour cause : ce n’est peut-être pas son plus abouti (le cinéaste est parfois rattrapé par sa dévotion, et l’emphase prend parfois le pas sur la narration), mais c’est celui qui lui ressemble le plus. Amen !